14 Août 1998

Coups de fusil dans un salon de coiffure. Un septuagénaire tue deux femmes avant de rater son suicide.

par David DUFRESNE

Libération

publié le 15 août 1998 à 9h23

Hier, 9h30. Comme chaque matin, Roger Belusca, 78 ans, voit s'ouvrir

les portes de l'unique salon de coiffure de Montrabé. Un salon avec pour seul nom «coiffure mixte», sur un petit panneau blanc. Roger Belusca réside en face, de l'autre côté de la nationale 112, qui coupe la petite commune située à une dizaine de kilomètres au nord de Toulouse. Veuf depuis deux ans, le retraité de la SNCF vit là, dans sa maison, seul. Mais, hier, «le petit homme tranquille», l'habitué des «petites promenades du matin dans le quartier piétonnier» de la bourgade, comme l'on dit à la mairie, va commettre un geste «inexplicable».

Un fusil de chasse à la main, Roger Belusca traverse la route et pénètre dans le salon de coiffure. L'arme est chargée: de la chevrotine, calibre 12. Dans le salon, elles sont quatre ­ deux clientes, une employée et la directrice. Au premier coup de feu, Cendrine S., 17 ans, s'écroule. Touchée au dos, l'apprentie coiffeuse décédera peu après à l'hôpital. Puis, c'est la gérante, Esther D., qui tente de s'interposer. L'homme tire à nouveau mais la main de la femme sur le canon dévie la trajectoire de la balle. Blessure au genou. Roger Belusca recharge alors son fusil et assène un coup de crosse sur le visage d'une cliente, Odette M., 84 ans. Qui se réfugie dans les toilettes. Dans l'intervalle, la quatrième femme présente dans l'établissement a réussi à s'échapper. Elle crie, donne l'alerte et Roger Belusca sort à son tour.

Sur le trottoir, face au retraité, il y a désormais Marie-Josée T., 65 ans. Voisine, elle est la propriétaire des murs du salon et la dernière victime du tireur. Deux balles dans la poitrine.

Mais le septuagénaire n'en reste pas là. Le voilà qui retraverse la nationale, regagne sa maison et se rend dans son garage. Là, il s'assied et recharge une dernière fois son fusil, qu'il place entre ses jambes. Pourtant, l'homme rate son suicide. La décharge de plomb fait exploser sa mâchoire et ressort par la joue gauche. Il est opéré d'urgence, ses jours ne seraient pas en danger.

Très vite, dans Montrabé, c'est l'effervescence. Pas de litige entre Roger Belusca et ses victimes, aucun différend connu, des relations de voisinage sans histoires, les interrogations fusent sur les raisons de son geste. Ni ennemis ni problèmes d'argent non plus. A la mairie, on répète son incompréhension. «Homme paisible», Roger Belusca «ne faisait jamais parler de lui» dans la commune: «On était loin de pouvoir imaginer une telle chose.» Alors, Alain Guglielmi, premier procureur adjoint de Toulouse, émet l'hypothèse d'un «acte de démence». Tout comme un enquêteur qui résume l'affaire: «L'auteur des faits n'a pas eu de réflexion. Il a tiré, et tiré.» On ne lui connaît pas non plus d'antécédent psychiatrique.

Une explication, peut-être: de source judiciaire, Roger Belusca serait atteint d'une «maladie organique qui pourrait avoir des répercussions psychiques». A voir avec son médecin, de retour de vacances lundi seulement. En attendant, même privé de l'usage de la parole pour plusieurs jours, Roger Belusca pourrait être rapidement interrogé sur son lit d'hôpital. Par écrit.








Toulouse. Les parents de Cendrine veulent changer la loi




Publié le 14/08/2001 à 00:00

Il y a trois ans, leur fille de 17 ans a été tuée à Montrabé par un retraité déclaré irresponsable pénalement.

J'en profite


« Quels sont les commentaires après la terrible prise d'otage de Cergy-Pontoise? Il est fou... Je ne sais pas ce que diront les experts mais voilà un homme, accusé de trois meurtres, qui peut bénéficier de l'article 122- 1. Si cet article s'applique, on ne cherchera pas plus loin. Pourtant, si j'ai bien compris, sa femme connaissait son projet. Pourquoi n'a-t-elle rien dit ? Est-il normal qu'elle ne soit pas poursuivie? C'est toute l'ambiguïté de ce texte de loi qu'il faut parvenir à changer, au moins pour les crimes de sang ».

La voix de Christian Stawoski se crispe quelques secondes. Le sourire de sa fille, Cendrine, lui voile les yeux. Le 14 août 1998, trois ans aujourd'hui, l'adolescente coiffait une cliente à Montrabé quand Roger Bélusca, 78 ans, a fait irruption dans le salon un fusil à la main. Il a tiré, tuant Cendrine et Marie- Josée Tessier. Deux autres femmes ont également été blessées. Le retraité a ensuite retourné l'arme contre lui. Grièvement blessé, il a été mis en examen pour assassinat à sa sortie de l'hôpital, un mois plus tard, puis incarcéré (1). Les experts psychiatres l'ont ensuite déclaré pénalement irresponsable. Il est mort l'an dernier, sans avoir quitté l'hôpital psychiatrique où il était interné, à Cadillac en Gironde.

DES DEPUTES REAGISSENT

Longtemps Evelyne et Christian Stawoski ont tenté de chasser ce cauchemar. L'annonce de l'arrêt de l'instruction, en février 1999, a constitué un terrible coup d'arrêt dans ce deuil impossible. « Quand l'article 122-1 s'applique à un accusé, l'instruction est close. La justice ne cherche plus. Toutes les responsabilités, celles de l'accusé, celles, éventuelles, de son entourage sont oubliées et on laisse la famille des victimes se débrouiller », confie Christian Stawoski.

Pendant plusieurs mois, les parents de Cendrine ont essayé d'accepter cette décision. Avant de se révolter et d'entreprendre un combat a priori inégal: obtenir la modification du fameux article.

« Aujourd'hui le code pénal prévoit, par son article 122-3, de chercher la responsabilité éventuelle de l'entourage. Mais les juges n'ont pas les moyens de l'appliquer », estiment les parents de Cendrine.

Pour mener leur combat, ils ont lancé une pétition. Elle compte aujourd'hui environ 13.000 signatures (2). Et puis ils ont écrit, beaucoup. Ministres, élus, avocats... « Cela commence à évoluer. Une trentaine de députés nous ont répondu. La ministre de la Justice connaît aujourd'hui notre démarche. Les élus, Gérard Bapt par exemple, commencent à nous soutenir officiellement. Même le président de la commission des lois de l'Assemblée a été sensibilisé. Mais pour l'instant, nous restons sur des intentions. Ce qui nous intéresse, ce sont les actes », analyse le couple.

Ce matin, les parents de Cendrine déposeront une gerbe devant le salon de Montrabé où leur fille a été tuée. Plus que jamais, ils affichent leur détermination. « Régulièrement, l'actualité nous rappelle le drame de Cendrine, indique son père. Hier le braquage de Cergy. Avant-hier un conducteur qui fonce sur la foule lors du Tour de France. De tels drames, avec des auteurs déclarés irresponsables, se répètent et se multiplient. On ne peut pas se contenter de le constater, argumente Christian Stawoski. Il faut absolument que notre loi évolue!».

Jean COHADON

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(1) Lire nos éditions du 15 et 16 août 1998.

(2) Lire nos éditions du 14 août 1999 et 26 février 2001.


Souvenir et recueillement ce matin

Ce matin vers 10 heures, la famille et les amis de Cendrine déposeront une gerbe devant le salon de coiffure de Montrabé où l'adolescente a été tuée le 14 août 1998. L'occasion de se recueillir mais également de faire un nouveau point sur les démarches accomplies par les parents de la jeune victime.

« Ces derniers jours, nous avons distribué des affiches et des tracts pour sensibiliser la population. Pas mal de personnes nous ont appelées pour comprendre notre projet. C'est positif. Des élus, dont le conseiller général du canton et de la nouvelle municipalité de Montrabé devraient également être présents ce matin. Ces soutiens, nouveaux, montrent que nous avançons », estime Christian Stawoski.

Un renfort moral important quand on sait que pour mener à bien leurs démarches, les époux Stawoski ont emprunté de l'argent. Notamment pour payer les 7.000 F nécessaires au dépôt de plainte avec constitution de partie civile pour mise en danger de la vie d'autrui. Une plainte qui devra déterminer les éventuelles responsabilités des proches de Roger Bélusca et qui est actuellement instruite par la juge d'instruction Maryvonne Moulis, au palais de justice de Toulouse.

La Dépêche du Midi

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